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Clotilde en Syrie
Clotilde en Syrie
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14 septembre 2010

La vie est grande, bonne, passionnante, éternelle

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 le 25/08/2010  (reçue le 3/09/2010) Lettre n° 1


Chère famille, chers amis, chers parrains,

Que de choses se sont déjà passées, que je voudrais partager avec vous ! Par où commencer ? Les trois semaines qui viennent de s’écouler ont été si denses ! Ce fut le temps des découvertes, des rencontres, des apprentissages…

Je vous remercie de tout cœur de me permettre d’être là, cette année, au Point-Cœur d’Alep grâce à votre générosité et votre fidélité. Merci de votre soutien, infiniment précieux, qui rend chaque journée si belle. Vous êtes dans mes pensées et prières chaque jour, avec une pensée toute particulière pour les enfants et leur famille, et les professeurs à l’approche de la rentrée scolaire. Cette mission étant aussi un peu la vôtre, je vais essayer de vous faire vivre mes premiers pas dans mon nouveau lieu de vie…

Mardi 3 août, Aline (qui vient d’Aix en Provence) et moi-même, montions à bord de l’avion. “Un voyage qui nous mènera on ne sait où… Extérieurement, on sait à peu près, mais intérieurement… !” Quoique même extérieurement, on commence à se demander un peu… L’avion prévu à 16 h 25 est toujours au sol ; il est 19 h 45 ! À l’aéroport d’Alep, nos patientes hôtesses, Anne et Aurore nous accueillent avec un large sourire (après deux heures d’attente… Anne vit au Point-Cœur depuis douze ans comme permanente (laïque consacrée) ; Aurore vient de Tour. Voilà notre petite communauté au grand complet ! Je découvre avec plaisir ma nouvelle demeure, simple et paisible, dans le quartier de Téléphone Hawaï (nom donné au quartier depuis la Seconde Guerre Mondiale où il y avait de longues antennes téléphoniques).

Premières impressions : ktir chob (très chaud) ! Il est 5 h 00, on voit au loin par-dessus les centaines d’antennes paraboliques, les premières colorations du soleil levant depuis la terrasse de notre appartement du troisième étage. Après une bonne douche, nous voilà rapidement au lit… enfin, au matelas. Nos quatre matelas sont installés dans le salon rafraîchi par les hélices des ventilateurs. Bientôt, nous nous replierons sur la terrasse en quête de quelque fraîcheur, emportant chaque soir notre matelas à la façon syrienne. Nous finissons par nous réveiller, assommées que nous étions par la fatigue et la chaleur cuisante qui s’infiltre maintenant par les volets. Les ventilateurs ne tournent plus car depuis déjà 8 h 00 “ma fi caraba”, ce qui signifie “il n’y a pas d’électricité” ; et non pas “ma fée carabosse” ; quoique ça aide bien à retenir ! Mais nous retiendrons rapidement l’expression car les coupures d’électricité, et d’eau (ma fi maï), sont quotidiennes : il n’y en a pas assez pour tout le monde. Orgie de klaxons et voix fortes des commerçants se mêlent en un merveilleux concert qui achève de nous réveiller. Le klaxon ! Ici, c’est l’outil indispensable, et même vital ! Il signifie alternativement, “je suis là”, “je passe” ou “j’ai de la place dans mon taxi”… On a tôt fait d’apprendre que le piéton n’est pas prioritaire ; il n’y a pas de “passages pour piétons” dans nos quartiers, alors pour traverser parfois, on n’a pas d’autre choix que de se lancer au milieu du flot de voitures, et surtout sans hésiter…

Un autre mot que nous retenons vite, c’est “jdidé”, nouvelles, mot prononcé par Anne pour présenter les deux nouvelles, Aline et moi, aux amis du quartier. Lors de nos visites, nous pouvons vérifier que le fameux accueil syrien n’est pas une légende ! Les amis ne nous connaissent pas encore mais déjà, ils nous manifestent toute leur affection. C’est touchant de voir combien nos visites sont attendues (souvent, la visite commence par “ça fait longtemps que vous n’êtes pas venues !”) et combien notre présence, la présence de Points-Cœur est importante pour eux ! Je touche maintenant du doigt cette réalité que je n’avais fait qu’effleurer lorsque je présentais l’Œuvre Point-Cœur à mon entourage en France. Nous ne faisons presque rien mais ce presque rien est essentiel pour eux. C’est beau de voir cette amitié avec Points-Cœur à travers le visage des Amies des enfants (nom donné aux bénévoles) qui ne font que passer… Ils demandent des nouvelles des anciennes, de leur famille. Leïla qui connaît le Point-Cœur depuis son ouverture nous énumère les prénoms de toutes les Amies des enfants qui sont passées ! Impressionnant !

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Je vous parlais de l’hospitalité syrienne ; il me vient à l’esprit tant de beaux moments d’accueil qu’il me faudrait plus de trois pages pour tout vous raconter, les milles petits gestes d’accueil : offrir un bonbon au visiteur, des friandises, une boisson : sirop de datte ou de rose (spécialité d’Alep), café… le nombre incalculable de fois (au moins 10 !) où la maman de Jude nous a souhaité la “Bienvenue !” pour nous témoigner toute sa joie de nous recevoir chez elle. “Ahla u sahla” résonne encore à mes oreilles comme un refrain !

Thérèse et Vartan, une des familles les plus pauvres que nous visitons, m’ont beaucoup marquée par leur généreux accueil ! Petite famille arménienne qui habite à “Midane”, un quartier très populaire, mixte mais à majorité musulmane. Dans le hall, mare d’eau boueuse, immeuble plus que vétuste. Thérèse nous ouvre la porte, radieuse de notre visite. La petite Mariana, sept ans, n’a pas l’air d’aller bien ; elle fait la moue. N’ayant pas d’autre langage pour l’instant que celui des gestes, j’attrape un ballon qui traîne par terre et le lance à Mariana, qui me le renvoie. Son visage s’ouvre peu à peu ; puis saisissant un crayon de couleur, elle fait mine de se maquiller… Elle s’ouvre tellement qu’elle est tout excitée et veut que nous fassions de la gymnastique ! Mais l’électricité vient d’être coupée, le ventilateur s’est arrêté… avec cette chaleur… Impossible ! Vartan arrive et après le chaleureux “Ahla u sahla” (Bienvenue !), il se précipite pour aller acheter des boissons malgré les vives protestations d’Anne qui n’y feront rien. Il revient avec une petite bouteille de boisson gazeuse pour chacun. Thérèse nous offre des gaufrettes au chocolat. Anne prétextant des maux de ventre, tente de refuser mais en vain, elle lui donne cinq paquets de biscuits à emporter pour manger plus tard. Ils n’ont rien mais ils donnent tout ! Thérèse est malade depuis deux mois, elle a de la “nervosité dans l’estomac” (traduction littérale de l’arabe). De plus, Thérèse et Vartan sont inquiets pour leur petite fille qui a échoué à ses examens de CP, elle doit redoubler ; elle ne sait pas lire ni écrire et ils craignent qu’elle n’y parvienne pas ; Thérèse elle-même ne sait ni lire ni écrire. Ils ont tous deux une foi magnifique, forgée par l’attente confiante d’“apporter au monde” un enfant (selon l’expression utilisée ici). Au bout de douze ans, ils ont enfin une fille, Mariana. Hamdella ! (Grâce à Dieu !). Ils aiment à prier pour les parents qui peinent à avoir un enfant. Vartan me demande combien nous sommes dans la famille, puis il ajoute : “Que Dieu garde tes parents et tes frères !”

“ Hamdella !” (Grâce à Dieu) : c’est une des innombrables formules de politesse utilisée ici. Celle-ci sert souvent à répondre à la question : “Comment allez-vous ?”. Et pour souhaiter que le moment chez le coiffeur ou sous la douche fut bon, on dit : “Neïman” (y compris quand tu bois à la syrienne, c’est-à-dire, à la bouteille sans toucher le bord, et que tu t’es arrosé en même temps !). Pour remercier, il y en a tout une palette : tout en reposant son verre, on dit : “Deïmé” (que vous puissiez toujours accueillir comme cela) ; pour remercier après un travail manuel (la vaisselle, le ménage…): “ Islamo ideïki” (que tes mains soient bénies). Cette variété d’expressions pour remercier, témoignant d’une attention aux personnes et à ce qu’elles font dans les petites choses du quotidien me plaît beaucoup ! Elles plaisent aussi beaucoup à nos hôtes, touchés et étonnés de nous entendre déjà parler arabe ! Du moins le croient-ils !

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Pour le moment, les conversations sont pour moi comme des hiéroglyphes qu’il me faut déchiffrer. Parfois, au milieu de cette chaîne de sons continue, surgit un mot que je reconnais. Victoire ! Je ressens alors la joie de l’enfant qui déchiffrant un mot avec peine, voit soudain ce mot prendre sens et s’animer ! La joie de voir son univers se peupler de nouveaux êtres est sa récompense ! Ma récompense est d’entrer chaque fois un peu plus dans l’univers de nos amis. Les cours d’arabe intensifs sont là pour nous y aider : “L’arabe sans larme (…mais non sans peine !) ” c’est le nom de notre méthode d’apprentissage ! Et s’il y a parfois des larmes, ce sont plutôt des larmes de rires quand, avec Aline, nous prononçons un mot pour un autre tellement les sons se ressemblent pour des néophytes… Nos professeurs Dolly et Lynn font preuve de grande patience et nous font parfois répéter jusqu’à cinq ou six fois de suite le mot, afin de trouver la juste prononciation… Les progrès arrivent doucement… grâce aux encouragements de nos professeurs et de nos interlocuteurs ! Il nous faut nous aussi nous armer de patience lorsque nous aimerions comprendre ce que veulent nous dire les enfants dans nos jeux !

Si l’inculturation passe par la langue, elle passe aussi par la nourriture ; je découvre les délicieuses spécialités d’Alep et de la région : pistaches fraîches, hommos (purée de pois chiche), moutabbal (crème d’aubergine), fattouch (salade à base de bali, concombres, tomates, lamelles de pain sans levain grillé) et galettes de tannour (sorte de pizzas au thym, fromage ou piment) : un délice ! Pour le dîner, nous adoptons la coutume syrienne qui consiste à partager différents petits plats (mezzé) disposés sur la table. Très convivial !

Un coup de canon éclate dans la ville ; il est 19 h 30. C’est l’annonce de la fin du jeûne pour la journée. En effet, depuis le 11 août, le Ramadan a commencé pour un mois : les musulmans ne doivent ni boire, ni manger depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, en ce moment, de 5 h 00 à 19 h 30. Ils se réveillent à 4 h 00 pour avaler quelque chose d’un peu consistant, puis se recouchent jusqu’au petit matin. Samedi matin, lors de notre visite à “SOS Village d’enfants”, Anne demandait à un jeune garçon de treize ans s’il avait bu ce matin. Il nous confirma qu’il n’avait rien bu et nous proposa aussitôt un verre d’eau. Tout naturellement, Anne refusa en expliquant : “nous faisons jeûne avec toi”. Encore une belle leçon d’hospitalité syrienne ! Le jeûne est particulièrement difficile à cette période de l’année, les journées étant plus longues l’été, et d’autre part à cause des fortes chaleurs endurées depuis le début du mois. Nos amis nous disent qu’ils n’ont jamais vu de chaleur aussi forte, et pendant si longtemps. Nous voilà rassurés… le plus dur est derrière nous ! Durant le Ramadan, tout le pays est transformé ! Les journées sont plus calmes et les nuits plus animées ! Chaque soir, à l’approche de la rupture du jeûne, il faut voir les rues animées, colorées, embouteillées sur un fond de concert de klaxons ; chez certains commerçants, on se croirait à la bourse, chacun tendant ses billets en direction du vendeur… Et soudain, plus rien, les rues sont vides ; chacun se retrouve en famille et avec les voisins pour vivre un temps de partage et de fête. Situation cocasse, s’il en est !

J’aurais encore tant de choses à vous partager sur la riche culture de ce pays, les belles rencontres que nous vivons, notre vie de communauté au Point-Cœur, mais j’ai assez pris de votre temps pour aujourd’hui et vous remercie d’avoir pris le temps de me lire.

En attendant, je vous renouvelle l’assurance de mes pensées et prières pour chacun d’entre vous (spécialement le jour de votre date anniversaire ; pouvez-vous me la communiquer si ce n’est déjà fait ?). Je vous confie nos amis du quartier (ceux qui vous sont déjà un peu familiers par cette lettre…) et notre communauté, tout particulièrement ces jours prochains où elle va connaître un peu de changement puisqu’elle sera réduite à trois (Anne sera absente trois mois à partir du 17 septembre).

Avec ma profonde et joyeuse amitié,

 

Clotilde

 

clotilde


P.-S. : Si vous souhaitiez parrainer ma mission, sachez qu’il n’est pas trop tard : par un don en ligne http://france.pointscoeur.org/. ou par retour de courrier à Points-Cœur.

P.-S. ² : Le courrier peut mettre entre quinze jours et un mois à arriver (voire plus). Pour information, il faut éviter tout sujet politique. Je viens de recevoir mes premières lettres avec une joie immense : merci !!! Bon courage pour la reprise ! Bonnes vacances pour ceux qui les prennent maintenant !

Liban

Clotilde DOGNIN

Point-Cœur Bienheureuse-Mariam

Vicariat Apostolique Latin

B.P. 327

ALEP

Syrie

 


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